La« loi sur le voile » marque l’aboutissement d’un long débat sur la laïcité (2004)
D’UN POINT DE VUE juridique, elle englobe tous les signes religieux mais dans le langage commun; elle est devenue « la loi sur le voile »: la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics entrera en vigueur le 2 septembre à l’occasion de la rentrée scolaire. En vertu de ce texte, tout élève se présentant dans un établissement scolaire avec un voile islamique- ou une kippa ou une grande croix- sera invité à l’enlever. En cas de refus, après une phase de dialogue prévue pour durer quelques semaines, il sera définitivement exclu de l’établissement.
Le texte est censé contribuer au « sursaut laïque » que le chef de l’État Jacques Chirac, a appelé de ses vœux le 17 décembre 2003, le jour de l’annonce de la rédaction d’une loi. Les chefs d’établissement scolaire avaient en effet exigé, les mois précédant la réforme législative, une clarification des textes relatifs à la laïcité à l’école. Confrontés à la montée des revendications communautarisations ou religieuse -port du voile, pratique du ramadan, contestation de certains enseignements, etc.-, ils estimaient ne pas disposer des outils réglementaires suffisants. Pour eux, l’interdiction des signes religieux constituait le premier pas d’une « reconquête ».
Les chefs d ‘établissement et les enseignants se plaignaient alors de la solution trouvée en 1989 par le conseil d’État. La plus haute juridiction administrative avait en effet été saisie par le ministre de l’éducation nationale de l’époque qui souhaitait déterminer quelle attitude adopter face à un problème inédit jusque-là : l’exclusion en 1989, de jeunes filles parce qu’elles portaient le voile islamique.
UNE SERIE DE CONFLITS
Dans son avis, le Conseil d’État avait donné une réponse très claire: « Le port, par les élèves, de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas en lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure ou il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses. » Mais la juridiction apportait des limites: dans le cas ou ces signes sont « ostentatoires » ou lorsqu’ils créent des « troubles à l’ordre public », leur interdiction est jugée légale.
Aux chefs d’établissement donc d’estimer le caractère « ostentatoire » des signes religieux. A eux de déterminer si le port de signes pouvait constituer un trouble à l’ordre public. Les années 1989-1995 se sont caractérisées par une série de conflits sur le voile, suivis d’exclusions définitives et, dans certains cas, de recours devant les tribunaux administratifs et le Conseil d’État. Les années suivantes ont vu le problème perdre de son ampleur - au moins sur le plan médiatique.
Le contexte s’est modifié en 2002-2003. Pêle-mêle, la montée des revendications identitaires à l’école, la seconde Intifada, les incidents du match France-Algérie, les sifflets essuyés par Nicolas Sarkozy devant le rassemblement de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), etc., ont replacé la question de l’intégration au cœur du débat. Des conflits sur le voile fortement médiatisés - à Lyon, à Aubervilliers (Seine-Saint Denis) - ont accentué la pression.
Début 2003, des députés de droite et de gauche ( l’ancien ministre de l’éducation nationale Jack Lang, notamment) ont annoncé leur volonté de déposer des propositions de loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l’école.
A l’initiative de son président, Jean Louis Debré, l’Assemblé nationale a crée une mission d’information sur la question des signes religieux à l’école: elle s’est prononcée, au début du mois de décembre 2003, pour l’interdiction de tout signe religieux ou politique dès lors qu’il est visible.
Le 3 juillet 2003, le président de la République est entré à son tour dans le débat en confiant à une commission présidée par Bernard Stasi la tache de se pencher sur les moyens de « concilier l’unité nationale et la neutralité de la République avec la reconnaissance de la diversité, notamment ».
UNE LARGE MAJORITE
EN particulier, M. Chirac a demandé à la commission de réfléchir « difficultés d’application » des textes alors applicables à propos du port du voile.
Après plusieurs mois d’auditions et de débats, la commission a proposé, le 11 décembre 2003, une loi prohibant les signes d’appartenance religieuse et politique. Elle a suggéré que les fêtes de Yom Kippour et de l’Aid el-Kébir soient ajoutées à la liste des jours fériés.
Jacques Chirac a tranché quelques jours plus tard, le 17 décembre: réfutant la solution d’une interdiction des signes visibles comme l’idée d’instituer de nouvelles fêtes religieuses, il a annoncé le dépôt d’un projet de loi interdisant les signes « ostensibles ». La machine législative était enclenchée et a débouché sur l’adoption d’une loi à une très grande majorité ( 494 députés pour, 36 contre ). Nul n’est censé ignorer que, « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
Des manifestations de protestation limitées
Le vote d’une loi interdisant dans les écoles françaises le port de signes religieux ostensibles a provoqué des réactions internationales assez limitées. Le 17 janvier, des manifestations de protestation organisées en Égypte, au Liban, dans les pays du golfe, en Cisjordanie rassemble quelque 20 000 personnes. Le 24 février, un enregistrement audio attribué à l’adjoint d’Oussama Ben Laden, l’Égyptien Ayman Al Zawahri, condamne la loi. Quelques semaines plus tôt, le 30 décembre 2003, le plus haut dignitaire de l’islam sunnite, le cheikh Mohamed Sayyed Tantaoui, avait toutefois adopté une position modérée affirmant que l’obligation de porter le voile ne s’appliquer pas « dans un pays non musulman comme la France ».
En France, plusieurs manifestations ont également été organisées. Le 21 décembre, entre 3 000 et 5 000 personnes manifestaient à Paris. Le 17 janvier, 20 000 personnes répondaient à l’appel du Parti Musulman de France. Le 14 février, le collectif « Une école pour tous » rassemblait quelques milliers de manifestants.
Luc Bronner
NB: les lignes citées dans le commentaire de texte se rapporte à l’article original du journal le monde.
D’UN POINT DE VUE juridique, elle englobe tous les signes religieux mais dans le langage commun; elle est devenue « la loi sur le voile »: la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics entrera en vigueur le 2 septembre à l’occasion de la rentrée scolaire. En vertu de ce texte, tout élève se présentant dans un établissement scolaire avec un voile islamique- ou une kippa ou une grande croix- sera invité à l’enlever. En cas de refus, après une phase de dialogue prévue pour durer quelques semaines, il sera définitivement exclu de l’établissement.
Le texte est censé contribuer au « sursaut laïque » que le chef de l’État Jacques Chirac, a appelé de ses vœux le 17 décembre 2003, le jour de l’annonce de la rédaction d’une loi. Les chefs d’établissement scolaire avaient en effet exigé, les mois précédant la réforme législative, une clarification des textes relatifs à la laïcité à l’école. Confrontés à la montée des revendications communautarisations ou religieuse -port du voile, pratique du ramadan, contestation de certains enseignements, etc.-, ils estimaient ne pas disposer des outils réglementaires suffisants. Pour eux, l’interdiction des signes religieux constituait le premier pas d’une « reconquête ».
Les chefs d ‘établissement et les enseignants se plaignaient alors de la solution trouvée en 1989 par le conseil d’État. La plus haute juridiction administrative avait en effet été saisie par le ministre de l’éducation nationale de l’époque qui souhaitait déterminer quelle attitude adopter face à un problème inédit jusque-là : l’exclusion en 1989, de jeunes filles parce qu’elles portaient le voile islamique.
UNE SERIE DE CONFLITS
Dans son avis, le Conseil d’État avait donné une réponse très claire: « Le port, par les élèves, de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas en lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure ou il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses. » Mais la juridiction apportait des limites: dans le cas ou ces signes sont « ostentatoires » ou lorsqu’ils créent des « troubles à l’ordre public », leur interdiction est jugée légale.
Aux chefs d’établissement donc d’estimer le caractère « ostentatoire » des signes religieux. A eux de déterminer si le port de signes pouvait constituer un trouble à l’ordre public. Les années 1989-1995 se sont caractérisées par une série de conflits sur le voile, suivis d’exclusions définitives et, dans certains cas, de recours devant les tribunaux administratifs et le Conseil d’État. Les années suivantes ont vu le problème perdre de son ampleur - au moins sur le plan médiatique.
Le contexte s’est modifié en 2002-2003. Pêle-mêle, la montée des revendications identitaires à l’école, la seconde Intifada, les incidents du match France-Algérie, les sifflets essuyés par Nicolas Sarkozy devant le rassemblement de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), etc., ont replacé la question de l’intégration au cœur du débat. Des conflits sur le voile fortement médiatisés - à Lyon, à Aubervilliers (Seine-Saint Denis) - ont accentué la pression.
Début 2003, des députés de droite et de gauche ( l’ancien ministre de l’éducation nationale Jack Lang, notamment) ont annoncé leur volonté de déposer des propositions de loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l’école.
A l’initiative de son président, Jean Louis Debré, l’Assemblé nationale a crée une mission d’information sur la question des signes religieux à l’école: elle s’est prononcée, au début du mois de décembre 2003, pour l’interdiction de tout signe religieux ou politique dès lors qu’il est visible.
Le 3 juillet 2003, le président de la République est entré à son tour dans le débat en confiant à une commission présidée par Bernard Stasi la tache de se pencher sur les moyens de « concilier l’unité nationale et la neutralité de la République avec la reconnaissance de la diversité, notamment ».
UNE LARGE MAJORITE
EN particulier, M. Chirac a demandé à la commission de réfléchir « difficultés d’application » des textes alors applicables à propos du port du voile.
Après plusieurs mois d’auditions et de débats, la commission a proposé, le 11 décembre 2003, une loi prohibant les signes d’appartenance religieuse et politique. Elle a suggéré que les fêtes de Yom Kippour et de l’Aid el-Kébir soient ajoutées à la liste des jours fériés.
Jacques Chirac a tranché quelques jours plus tard, le 17 décembre: réfutant la solution d’une interdiction des signes visibles comme l’idée d’instituer de nouvelles fêtes religieuses, il a annoncé le dépôt d’un projet de loi interdisant les signes « ostensibles ». La machine législative était enclenchée et a débouché sur l’adoption d’une loi à une très grande majorité ( 494 députés pour, 36 contre ). Nul n’est censé ignorer que, « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
Des manifestations de protestation limitées
Le vote d’une loi interdisant dans les écoles françaises le port de signes religieux ostensibles a provoqué des réactions internationales assez limitées. Le 17 janvier, des manifestations de protestation organisées en Égypte, au Liban, dans les pays du golfe, en Cisjordanie rassemble quelque 20 000 personnes. Le 24 février, un enregistrement audio attribué à l’adjoint d’Oussama Ben Laden, l’Égyptien Ayman Al Zawahri, condamne la loi. Quelques semaines plus tôt, le 30 décembre 2003, le plus haut dignitaire de l’islam sunnite, le cheikh Mohamed Sayyed Tantaoui, avait toutefois adopté une position modérée affirmant que l’obligation de porter le voile ne s’appliquer pas « dans un pays non musulman comme la France ».
En France, plusieurs manifestations ont également été organisées. Le 21 décembre, entre 3 000 et 5 000 personnes manifestaient à Paris. Le 17 janvier, 20 000 personnes répondaient à l’appel du Parti Musulman de France. Le 14 février, le collectif « Une école pour tous » rassemblait quelques milliers de manifestants.
Luc Bronner
NB: les lignes citées dans le commentaire de texte se rapporte à l’article original du journal le monde.
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